
Arthur De Greef et Edvard Grieg
des fjords norvégiens à la plaine flamande
un dialogue musical au cœur du romantisme
C’est à la demande d’un programmateur que nous avons découvert les sonates pour violon et piano d’Arthur De Greef. Animés par le désir de faire revivre un répertoire délaissé, nous avons choisi d’orienter nos recherches vers des œuvres belges méconnues. Ce fut l’occasion de partir à la découverte de trésors oubliés.
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Arthur De Greef (1862-1940) était un pianiste, compositeur et pédagogue belge. Né dans une famille mélomane, il montre un talent précoce pour le piano et intègre le Conservatoire royal de Bruxelles, où il obtient son premier prix à 17 ans. Il poursuit ses études avec Franz Liszt à Weimar, devenant un soliste et chambriste recherché, tout en enseignant au Conservatoire.
De Greef est également compositeur, avec des œuvres telles que deux concertos pour piano et une Fantaisie sur de vieilles chansons flamandes. Saint-Saëns et d'autres figures marquantes de son époque louèrent son talent. Il est aujourd’hui commémoré par le Grand Prix Arthur De Greef, un concours de piano.
Sa rencontre avec Edvard Grieg en 1888 marque un tournant : leur amitié et leur collaboration musicale font de De Greef l’interprète de référence des œuvres du compositeur norvégien, jetant un pont unique entre leurs univers.​​​
Arthur De Greef

Edouard Grieg
Autographe d'E. Grieg
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Edvard Grieg (1843-1907) était un compositeur et pianiste norvégien d'une grande influence, dont l'œuvre a profondément marqué le romantisme européen. Né à Bergen, dans une famille de musiciens, il montre très tôt un talent pour le piano. Il entre au Conservatoire de Leipzig, où il perfectionne son art avant de se consacrer pleinement à la composition. Très attaché à ses racines norvégiennes, Grieg trouve une inspiration majeure dans la musique populaire de son pays, qu'il intègre avec une sensibilité toute personnelle dans ses compositions. Son œuvre la plus célèbre, la Peer Gynt Suite, illustre cette fusion entre le folk et la grande forme symphonique. Malgré une santé fragile, Grieg parcourt l’Europe, se produisant sur de nombreuses scènes tout en collaborant avec de grands interprètes et compositeurs de son époque. En plus de son apport artistique, Grieg est reconnu pour sa capacité à défendre la musique norvégienne sur la scène internationale, faisant de lui un des piliers de la musique nationale de son époque. L’amitié et la collaboration avec d'autres compositeurs, comme Arthur De Greef, renforcent sa position de figure clé dans la musique européenne du XIXe siècle.
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La complicité entre Arthur De Greef et Edvard Grieg va bien au-delà de leur travail musical ensemble, s'inscrivant dans une véritable amitié marquée par une profonde admiration réciproque. Grieg louait régulièrement l'interprétation exceptionnelle de De Greef, le qualifiant de meilleur interprète de sa musique, et exprimait son respect envers son intuition musicale. Leur correspondance témoigne d’un lien profond, fait de respect, d’admiration et de complicité. Ils étaient en symbiose. De Greef a joué un rôle clé dans la diffusion de la musique de Grieg en dehors de la Scandinavie, devenant un véritable ambassadeur de son œuvre.
E. Grieg et A. De Greef
Grieg, Edvard. Brev i utvalg: 1862–1907. Bind II:
Til amerikanske, australske, belgiske, danske, engelske, finske, franske, nederlandske, russiske, sveitsiske, svenske, tsjekkiske, tyske, ungarske og østerrikske mottagere. Lettres traduites du français, de l’anglais et de l’allemand par Finn Benestad. Oslo

Extrait du livre traduit en français
À Arthur De Greef
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Grieg développa une chaleureuse amitié avec le pianiste et compositeur belge Arthur de Greef (1862–1940), l’un des plus éminents artistes du clavier de son époque. De Greef s’engagea de tout cœur pour la musique de Grieg, notamment pour son concerto pour piano, qu’il joua pour la première fois en public lors d’un concert Colonne à Paris le 26 février 1888. Ce même automne, il était en tournée de concerts en Norvège, et alla alors rendre visite à Grieg à Troldhaugen.Grieg fut séduit par son jeu authentique, et dans une lettre à Alexander Bull datée du 1er janvier 1889 (voir cette lettre), il exprima son enthousiasme.De Greef était d’ailleurs un des rares étrangers avec qui Grieg tutoyait, et le ton entre eux était très chaleureux.
En novembre et décembre 1889, Grieg se produisit avec De Greef lors de trois concerts à Bruxelles, où son ami était professeur au conservatoire. Le 8 décembre, le Belge joua le concerto en la mineur, avec le Norvégien à la direction. Les 22 et 29 décembre de la même année, ils répétèrent ce succès à Paris. La dernière fois qu’ils se produisirent ensemble fut lors de la tournée d’adieu de Grieg en Allemagne au printemps 1907, lorsque le concerto en la mineur figurait au programme à Munich le 6 avril. Cinq mois plus tard, Grieg était mort.
Les lettres de Grieg à De Greef sont écrites en allemand. Les lettres n°2 et 3 ci-dessous se trouvent à la Bibliothèque publique de Bergen, qui détient également toutes les lettres de De Greef à Grieg, rédigées en français. La grande majorité des lettres de Grieg à De Greef sont conservées à la Bibliothèque royale Albert Ier à Bruxelles. Celles-ci sont publiées dans leur langue originale dans l’article de Bernard Huys :« Onuitgegeven autografische brieven van Edvard Grieg en Nina Grieg en Alexander Bull aan Arthur de Greef, bewaard in de Koninklijke Bibliotheek Albert I te Brussel », Academiae Analecta, Bruxelles, 1988, n°1, et dans le livre Arthur de Greef – en venn av Edvard Grieg de Bernard Huys et Eivind A.C. Eikenes, Stavanger, 1994.
Kristiania, 20 octobre 1890
Mon cher De Greef !
Peu avant mon départ pour Bergen, j’ai reçu ta splendide lettre, et ce n’est qu’aujourd’hui, après toutes sortes d’obstacles, que je peux enfin y répondre. Alors, la main sur le cœur : comment est-ce d’être marié ? Tu n’as absolument pas besoin de répondre à cette question. Je vais moi-même me charger de la réponse. Pour toi, le mariage signifie simplement composer des concertos, des variations et des fantaisies flamandes pour deux pianos. Et tout doit sonner magnifiquement ! Ma pièce pour deux pianos ? Je ne l’ai pas encore reçue, mais elle doit venir bientôt. Et ta Suite flamande ? Fais au moins une transcription à quatre mains, afin que je puisse faire connaissance avec l’œuvre. Je peux malheureusement seulement venir à Copenhague vers la mi-novembre. Il est donc très incertain que nous nous rencontrions cette fois. Quel dommage ! Cela aurait été une joie pour moi de te faire connaître Svendsen, afin que nous puissions entretenir un certain contact. Autant que je sache, Svendsen viendra à Bruxelles cet hiver. En lui, tu feras la connaissance d’un maître de tout premier ordre et d’un homme noble, admirable.Avant-hier, j’ai dirigé ici un grand concert de mes œuvres devant près de 3 000 auditeurs. Une nouvelle salle – un cirque (à la Lamoureux) – a été inaugurée. Je dois répéter le concert dans huit jours. Ensuite, je serai occupé pendant une semaine avec les préparatifs pour la représentation de Peer Gynt.
Avec les meilleurs souhaits pour toi et ton épouse,
Ton ami et admirateur,
Edvard Grieg
Ma femme me prie de te saluer chaleureusement !!

Manuscrit de la sonate n°1 d'A. De Greef

Pourquoi Pas ? Avril 1934

Leipzig, 27/11/95
Hôtel Hauffe
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Cher De Greef,
Votre idée brillante de faire de la musique ensemble à Londres ne peut malheureusement pas se concrétiser pour le moment, semble-t-il. Je ne peux pas me décider à aller en Angleterre sous l'égide de M. Liebmann, car tout d'abord, mes amis anglais me le déconseillent, et ensuite, sa correspondance m'a également beaucoup déplu.
Je suis très désolé que vous ne m'ayez pas parlé en premier de votre belle idée – tout aurait alors été différent. Lorsqu'il s'agit de grands concerts symphoniques, il faut être prudent et ne traiter qu'avec des agents très fiables, sans quoi il y a des désagréments par la suite que je ne peux tout simplement pas me permettre compte tenu de ma santé fragile.
J'ai pu entendre parler de vos succès en Angleterre, ce qui m'a beaucoup réjoui. Revenez bientôt en Norvège. Alors, le nouveau drapeau flottera sur « Friedhagen ».
Amitiés sincères, également à votre chère épouse.
Votre dévoué,
Edvard Grieg
Bien que déjà enregistrées, les sonates de De Greef sont rarement jouées en concert, faute d’édition. Le Duo Arcanes s’engage à retranscrire intégralement ces œuvres afin qu’elles soient accessibles à un public plus large. Ce travail de réhabilitation représente un véritable acte de transmission et un hommage à un compositeur qui mérite de sortir de l’ombre.
Symbiose n’est pas seulement un concert, c’est une exploration sonore des correspondances entre deux grands compositeurs, un voyage à travers le romantisme expressif de De Greef et Grieg. Ce programme, à la fois riche et inspirant, invite le public à redécouvrir des œuvres injustement oubliées, tout en créant des liens entre les époques et les traditions musicales.
Toutes les références présentées sur cette page proviennent principalement de la Bibliothèque royale de Belgique (KBR). Les documents originaux ont été traduits pour offrir un accès plus large à ces précieuses ressources. Pour consulter ces documents et en apprendre davantage sur les recherches effectuées, nous vous invitons à visiter leur site officiel : KBR - Bibliothèque royale de Belgique.